Elle a beau diriger l’exécutif gabonais, au matin du 17 mars, la première ministre Rose Christiane Ossouka Raponda n’était qu’une participante parmi d’autres lors de 6e réunion de la task force Egalité. Les caméras de la télévision nationale, convoquée pour l’occasion dans la grande salle de réunion du Radisson Biu de Libreville, étaient braquées sur celle qui anime les travaux de cette structure gouvernementale hybride, censée veiller aux progrès de l’égalité femmes-hommes au Gabon, à savoir l’épouse du chef de l’Etat Ali Bongo, Sylvia Bongo. Le présidence de cette task force, lancée en 2020, est le seul mandat officiel de la première dame gabonaise. Mais son influence sur le fonctionnement du gouvernement est inversement proportionnelle à ce rôle volontairement réduit. De la présidence aux ministères, en passant par les prestataires du gouvernement, son avis compte, et son poids n’a fait que s’accroître depuis l’accident vasculaire qui a frappé le président gabonais en Arabie saoudite, à la fin de l’année 2018, et l’a laissé de longs mois convalescent.
FILIÈRE PRÉSIDENTIELLE
C’est peu après cet épisode, durant lequel le compte Instagram de la première dame a été l’une des principales sources d’information de la population et parfois des médias internationaux sur l’état de santé du président, que plusieurs collaborateurs de Sylvia Bongo ont fait leur entrée à la présidence. Ce fut d’abord le cas de Jessye Ella Ekogha. Passé par la société de relation publiques britannique WPP et la direction de la communication de la fondation de la première dame, il a été nommé porte-parole de la présidence gabonaise en décembre 2019. Un an plus tard, Dominic Sudnik y est devenu chargé de mission. Ce Britannique, ancien condisciple, à Londres, du fils aîné du couple présidentiel, Noureddin Bongo, a officié comme communicant chez Bell Pottinger, où son principal client était la Fondation Sylvia Bongo Ondimba. Ces anciens collaborateurs de première dame s’intègrent, à la présidence, dans un ensemble plus large, celui des associés de Noureddin Bongo, ce dernier étant devenu, pendant la même période, un rouage-clef du régime. A la suite de la mise à l’écart brutale, à la fin de l »année 2019 du directeur du cabinet présidentiel Brice Laccruche Alihanga, longtemps intime de Sylvia Bongo d’une part et de son fils aîné de l’autre, le premier cercle de Noureddin Bongo, nommé coordinateur général, a petit à petit repris en main le domaine privé du couple présidentiel, puis les affaires administratives et financières par le biais d’une série de task force (AI) du 26/03/21. Plusieurs des membres de ce groupe sont des amis de Noureddin depuis l’adolescence et connaissent donc particulièrement bien sa mère. Depuis 2019, la première dame elle-même a vu son équipe s’étoffer : elle est désormais assistée d’une directrice et d’une cheffe de cabinet, Hawa Diarra et Murielle Ndong toutes deux dotées en parallèle du titre de conseillères spéciale d’Ali Bongo. Elle est en outre entourée de plusieurs dames de compagnie, dont là principal est Betty Bongo, demi-sœur du président gabonais. C’est elle qui a présidé au rapprochement entre Sylvia Bongo et une autre sœur du président gabonais, Pascaline Bongo, longtemps brouillées sur la gestion du patrimoine familial et de l’héritage d’Omar Bongo (AI) du 28/10/20. Plusieurs des membres du cabinet de la première dame sont par ailleurs les épouses de responsables des fonctionnaires de la présidence gabonaise. Ce fut longtemps le cas de la communicante en chef de Sylvia Bongo, Evelyne Diatta-Acrombessi, épouse de l’ex-directeur de cabinet d’Ali bongo Maixent Accrombessi, et c’est actuellement le cas de l’assistante exécutive de la première dame. Mais si la filière Sylvia Bongo est un puissant ascenseur, son oukase vaut disgrâce immédiate. Tous les membres du premier cercle d’Ali Bongo, qui ont fait corps autour du président pendant son coma et sa convalescence et se sont parfois opposés aux desiderata de la première dame, se sont vu priver de fonctions officielles. En moins d’un an, le responsable de la sécurité rapprochée du président Jean-Luc Ndong Amvame, son chambellan Park Sang Chul, son intendant Steed Rey et son aide de camp Arsène Emvahou ont tous été écartées de la présidence. Dernier à se voir débarquer, l’ex-patron des renseignements de la Gard Républicaine et demi-frère du président, Frédéric Bongo (AI du 14/03/22).
RÉSERVE ADMINISTRATIVE
Mais les réseaux de la première dame vont bien au-delà de la présidence. Au sein de l’appareil d’Etat, plusieurs fonctionnaires lui sont directement liées. C’est notamment le cas de François Auguste Akomezogho, directeur général des impôts de 2017 à 2020 et désormais conseiller au ministère des travaux publics. Lorsqu’il était directeur de la conservation foncière dans les années 2010. François Auguste Akomezogho a été un interlocuteur régulier de Sylvia Bongo, qui opérait à l’époque son agence immobilière Alliance. Autre proche de la première dame, Guy Patrick Obiang Ndong, ancien secrétaire-général du ministère de la santé promu, en 2020, à la tête du ministère, poste qu’il occupe toujours. Président de la Croix-Rouge gabonaise, il a, à ce titre, mené de nombreuses actions en partenariat avec la Fondation Sylvia Bongo, et a même accompagné la femme du président lors de ses tournées dans les provinces gabonais. Au Sénat, la sénatrice du Woleu-Ntem Honorine Nzet Biteghe, promue l’an dernier quatrième secrétaire de la chambre haute, est une militante des droits de la femme qui a souvent travaillé avec la fondation de Sylvia Bongo. Même chose pour Linda Bongo, magistrate et demi-sœur d’Ali Bongo, qui occupe actuellement le poste de la directrice des affaires sociales au ministère de la justice.
PORTE D’ENTRÉE DES CONSULTANTS
Sollicitant volontiers des prestataires extérieurs, que ce soit par le biais de sa fondation ou à titre personnel, Sylvia Bongo a permis à plusieurs d’entre eux de devenir, à terme, sous-traitant du pays. Lorsqu’elle s’est opposée à sa belle-sœur Pascaline sur l’héritage d’Omar Bongo, Sylvia Bongo a fait appel à l’avocate française Claude Dumont-Beghi, qui a rapidement hérité de nombreux autres dossiers pour le compte de l’Etat. Tombée en disgrâce en 2019, cette dernière a été remplacée par un autre cabinet d’avocats français, celui de l’ancien ministre de la justice français Dominique Perben (mai 2002-mai 2005), introduit auprès du couple présidentiel par l’un de ses collaborateurs, le Gabonais Vivien Amos Péa (AI du 18/01/21). Ce dernier était très proche de la première dame lorsqu’il dirigeait les organisations de jeunesse du Parti démocratique gabonais, et a bénéficié du soutien de la femme du président pour financer ses études de droit en France. Autre consultant entré au Gabon par l’entremise de la première dame : le cabinet Roland Berger. C’est l’antenne marocaine de la société allemande, dirigée jusqu’au mois dernier par Laurent Benarousse et Olivier Gillibe, qui, à la demande de la première dame, a intégralement conçu la stratégie “égalité femmes-hommes” très solennellement présentée, en septembre 2020, au président par sa femme au cours d’une cérémonie chorégraphiée dans l’auditorium aux fauteuils rouges de la présidence. A la suite de la mise à l’écart, le mois dernier, du directeur de Roland Berger France, Olivier de Panafieu, coupable d’avoir organisé à son domicile une levée de fonds pour le candidat à la présidentielle française Eric Zemmour. Laurent Benarousse, l’un des deux consultants de Roland Berger à avoir travaillé pour la fondation Sylvia Bongo, est devenu le responsable de la société en France. C’est également par l’entremise de Sylvia Bongo qu’Omnia Strategy, le cabinet d’avocat de Chérie Blair, femme du premier ministre britannique Tony Blair, signé contrat avec le Gabon. L’année précédente, Chérie Blair avait en retour convié celle-ci au gala londorien de la fondation de l’oligarque indien Raj Loomba, dont était alors la présidente (AI du 04/03/20). Dix ans plus tard, c’est le Tony Blair Institute for Global Change, la structure de conseil de son mari, qui s’apprête à signer avec le Gabon (AI du 23/02/22).
TREMPLIN MÉDIATIQUE
La première dame et son entourage font également le lien avec les médias internationaux, tout particulièrement panafricains, dans lesquels la fondation de Sylvia Bongo insère régulièrement de vastes encarts publicitaires et des suppléments de communication institutionnelle. Elle est également très proche du Français Sébastien Bottari, qui par le biais de sa société suisse Everest Media organise trois compétitions de course à pied au Gabon-Marathon du Gabon, 10 km de Port-Gentil, 10 km de Franceville etc. D’abord en association avec la presse panafricaine (Bottari dispose d’une seconde société, Inter Presse Media, spécialisée dans les publireportages) puis avec la fondation de Sylvia Bongo, après s’être brouillé avec ses partenaires médias en 2018. Tremplin de consultants, la première dame, et plus particulièrement sa fondation, constitue enfin un outil relationnel pour les entreprises actives au Gabon : Bolloré, Olam, Perenco, Vivendi et Rougier, pour ne citer que les principales, sont des contributeurs réguliers de la fondation, dont près de la moitié des ressources, soit 14 milliard de francs CFA (environ 2,1 millions d’euros) proviennent de dons d’entreprises.