La période de soudure habituellement observée entre juin et août et qui correspond aux moments où les réserves alimentaires des ménages sont épuisées et où leurs membres sont engagés dans les travaux champêtres, en attendant les futures récoltes, s’annonce plus longue et plus rude. En effet, dès ce mois de janvier 2022, des familles ont signalé avoir consommé leurs récoltes de l’an passé.
Entre juin et août 2022, environ 901 042 personnes soit 38% de la cible nationale seront exposées à l’insécurité alimentaire aigue sévère avec un besoin d’assistance alimentaire urgent, selon les résultats du Cadre Harmonisé.
Une saison agricole 2021 perturbée qui menace la sécurité alimentaire des communautés Ces dernières années, les saisons subissent les effets du dérèglement climatique : les pluies sont de plus en plus faibles et mal réparties dans le temps. La courte saison pluvieuse, de juillet à septembre, se caractérise par une alternance de poches de sècheresse et des averses de plus en plus fortes ce qui a un impact direct sur la dégradation des sols et les rendements des cultures. La campagne agropastorale 2021 a été particulièrement mauvaise dans toute la bande sahélienne. L’arrivée très tardive des pluies (première décade de juillet) et la longue séquence sèche constatée tout le mois d’août (habituellement le mois le plus pluvieux), ont eu pour conséquence une faible production agricole, une biomasse fourragère insuffisante et une disponibilité en eau de surface réduite exacerbant la vulnérabilité des ménages pastoraux.
Selon Mohamadou Mouctarou Superviseur sécurité alimentaire et moyens d’existence d’Action contre la Faim dans le projet RESILAC « la campagne passée, nous avons constaté qu’il y avait une recrudescence de poches de sécheresse, et ce dans plusieurs de nos zones d’intervention. Il y avait un arrêt précoce des pluies, ce qui a eu un impact une faible production. Les rendements agricoles sont faibles d’année en année car les sols se dégradent ».
Au-delà de la sécheresse et des perturbations climatiques qui ont réduit presque à néant la production agricole dans certaines zones dont Makary et Goulfey, des attaques d’oiseaux granivores (janvier 2022, juillet et août 2021) et de pachydermes (éléphants et hippopotames) ont dévasté les quelques faibles superficies cultivées. Des alertes et menaces de criquets pèlerins et chenilles légionnaires ont également été signalées lors de cette campagne. L’embonpoint du cheptel est faible, résultat de la faible disponibilité de biomasse fourragère.
Les ménages pauvres et très pauvres ont du mal à avoir des repas de qualité et de quantité suffisante durant la période de soudure. La période de soudure commence de plus en plus tôt et dure plus longtemps avec des conséquences dramatiques pour la sécurité alimentaire, nutritionnelle et la cohésion sociale des communautés. Nous constatons que les changements et variabilités climatiques observés ces dernières années précipitent le démarrage de la soudure et allongent ainsi sa durée. En effet, les faibles récoltes enregistrées lors des saisons de pluies perturbées, s’épuisent rapidement dès février ou mars, souvent dès en janvier, laissant place à la pénurie des denrées alimentaire et à l’augmentation des prix sur le marché.
Cela s’observe sur les marchés comme celui de Makary où, le prix du sac de 92 kg de mil, principale denrée de base locale est passé de 20 000 XAF en janvier 2021 à 28 000 XAF en janvier 2022, soit une hausse 29%. Sur les marchés de Goulfey par exemple, le sac de niébé de 60 kg est passé de 30 000 XAF en janvier 2021 à 45 000 XAF en janvier 2022 soit une hausse de 50% selon le Service MINADER KOUSSERI, Janvier 2022.
Monsieur Bouba, producteur dans la commune de Dargala raconte : « Cette année nous avons eu beaucoup de difficultés par rapport aux productions, parce qu’il y a eu des arrêts subits de pluie ayant occasionné beaucoup de problèmes dans nos familles. Nos récoltes ont été très faibles et nos stocks sont déjà épuisés en janvier. Sur le marché, le prix du mil, denrée de base de nos familles, ne fait qu’augmenter… C’est très compliqué pour les pères de famille car la situation ne fera qu’empirer sur les marchés. Nous sommes en train de courir à gauche à droite pour chercher de quoi à manger ».
Les personnes rencontrées sur le terrain témoignent que leurs récoltes sont déjà épuisées au mois de janvier. Cette situation oblige certains ménages pauvres et très pauvres à adopter des stratégies néfastes, les exposant à la malnutrition comme manger une seule fois par jour et le plus souvent, un repas de monotone et pauvre en qualité.
En temps normal, la région de l’Extrême-Nord connait des taux très élevés de malnutrition chronique qui traduisent un manque de quantité et de diversité de l’alimentation. Les résultats préliminaires de l’enquête nutritionnelle SMART 2021 montrent une malnutrition chronique très élevée de 40,2%. Le manque de nourriture observé en ce début 2022 risque d’aggraver cette situation et de plonger de nombreux enfants dans la malnutrition aigüe sévère qui met leur santé et leur vie en danger.
« Lorsque des zones sont confrontées à des sécheresses, il faudrait sortir du modèle qui consiste à uniquement répondre aux catastrophes. Une approche « sans regret » qui consiste à répondre de façon préventive dès que le manque de pluie est confirmé est nécessaire pour empêcher des souffrances, limiter la mortalité des enfants et empêcher la perte des ressources des familles. Pour l’Extrême-Nord du Cameroun, ces actions préventives n’ont pas été possibles faute de financement, il faut dès à présent que les fonds nécessaires soient mobilisés pour répondre à la crise nutritionnelle et de sécurité alimentaire qui s’annonce durant la période de soudure. » explique Shanti Moratti, directeur pays d’Action contre la Faim au Cameroun.
Action contre la Faim apporte un appui aux communautés de la région de l’Extrême-Nord Cameroun pour renforcer leur résilience face aux effets de la soudure.