La sortie du RecTrad vise à appeler toutes les parties prenantes à l’action, pour soutenir les efforts du gouvernement et diminuer à défaut de freiner, l’exploitation illégale du bois, qui est dangereuse et nocive pour l’économie, la communauté et la communauté internationale. Parce que l’exploitation illégale ne profite qu’à une minorité, il est capital d’orienter tous les partenaires techniques et financiers pour freiner l’exploitation illégale du bois. Faut-il préciser que l’activité organisée par le ReCTrad s’inscrit en droite ligne d’un projet développé et expérimenté par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) et World Resources Institute (WRI) Africa. Ledit projet est implémenté dans le cadre de la promotion de la transparence du secteur forestier au Cameroun par la vulgarisation de l’Open Timber Portal et la mise en œuvre de l’observation indépendante. Financé par l’Union européenne, la durée de mise en œuvre est de cinq ans (2021-2025).
L’exploitation illégale du bois appauvrit les communautés et cause un préjudice à la biodiversité
La sortie du ReCTrad est aussi motivée par la situation de précarité qu’engendre l’exploitation forestière illégale. « L’exploitation illégale du bois appauvrit davantage la communauté. Elle ne crée pas d’emplois et ne développe pas des richesses », martèle S.M. Mvondo. L’activité de crée pas les emplois et ne génère pas les emplois sur place. A sa suite, Achille Wankeu, expert forestier et assistant technique au Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), fait état d’une inflation observée au niveau local. « Les plantations qui fournissent la base de l’alimentation sont délaissées au profit d’activités illicites mais plus lucratives liées à l’exploitation du bois. Par exemple, il faut débourser 1000 F pour un kg de riz. Le kg de poisson tourne autour de 2500 F. Les gens ne s’intéressent pas à tout ce qui est agriculture et commerce. C’est plus facile d’entrer en forêt et de se faire de l’argent », relate l’expert forestier. Il faut encore relever une acceptation sociale de cette exploitation, car les populations vivent avec ce phénomène qui devient normal et fait partie de leurs habitudes.
L’autre pendant de l’exploitation forestière illégale est la destruction de la biodiversité de plus en plus en péril, au mépris de certaines normes requises dans l’exploitation du bois en forêt. « Il y a une destruction totale de la biodiversité. Et, nous autres, chefs traditionnels, lorsque la forêt finit, c’est la tradition finit. La perte de la forêt signifie perte de la tradition, des valeurs traditionnelles essentielles, disparition de la chefferie traditionnelle », dénonce le président du ReCTrad. Sentiment unanimement partagé par M. Wankeu pour qui l’activité entraîne la destruction de la biodiversité, du fait d’une forte exploitation illicite et du prélèvement sélectif des essences exploitées qui se font de plus en plus rares. On assiste, poursuit-il, à une raréfaction des essences, qui oblige à parcourir plusieurs kilomètres pour trouver ces essences. Il y a également un impact sur la faune sauvage. La coupe et le débardage éclaircissent la forêt et laissent des surfaces pénétrables à des sentiers qui facilitent l’entrée des braconniers et l’installation des campements.
La rivière Ngoko, épicentre d’un business lucratif pour des acteurs tapis dans l’ombre
Le point de presse organisé par le ReCTrad a servi de prétexte pour dénoncer, chiffres à l’appui, que l’activité forestière illégale a tissé son nid à Moloundou, devenu une zone critique de l’activité dans le département de la Boumba-et-Ngoko. « De manière régalienne, nous observons les forêts. On a tout le temps des dénonciations qui nous parviennent. On a un mécanisme d’observation à travers le digital et un autre mécanisme physique d’observation des forêts. En temps réel ou chaque mois, on peut avoir une idée de ce qui se passe en termes d’illégal au Cameroun et voir un peu les petites tendances. Quand on a essayé de faire les projections satellitaires, on a bien vu que la marge de déforestation était très importante », a indiqué Achille Wankeu.
A l’occasion, le CED a présenté un rapport relatif aux observations sur les itinéraires de trafic de bois dans le département de la Boumba-et-Ngoko sur la rivière Ngoko. Réalisé suite à une descente effectuée entre juillet et septembre 2022, le document révèle que 60% des indices d’exploitation illégale a été observé dans les unités forestières d’aménagement (UFA). Le reste (40%) dans les jachères et plantations environnantes. Les indices d’exploitation illégale étaient constitués des souches non marquées, des billes, des branches, des stocks de débités, des campements, etc. Le mode opératoire est tout tracé : le bois est coupé, débité et puis entreposé aux abords de la rivière Ngoko. Le bois part à travers les radeaux. Le cours d’eau facilite l’acheminement du bois jusqu’au Congo-Brazzaville.
Les points de chargement se situent sur les bords du cours d’eau jusqu’à destination, à Ouesso et Brazzaville. « C’est une méthode qui se fait avec du bois léger. Raison pour laquelle elle cible généralement un certain nombre d’essences légères pour la plupart qui peuvent facilement flotter », soutient M. Wankeu. Ce mode de transport est relativement moins cher, par rapport au transport sur les grumiers. En termes de quantités prélevées des essences ciblées par le trafic, les patrouilles menées sur une période d’un mois ont permis d’identifier à peu près 40 radeaux constitués en moyenne de 26 colis chacun. Un colis de 100 pièces par exemple constitue un volume de neuf mètres cubes. Les évaluations faites ont permis d’identifier un volume d’à peu près 9000 mètres cubes par mois. Les essences ciblées sont essentiellement l’ayous (60%) et l’iroko et la sapelli (40%).
Environ 1,5 milliards de F de recettes fiscales perdues chaque année
L’exploitation illégale du bois a entraîné une saignée financière dans les caisses de l’Etat. Cette exploitation appauvrit l’Etat qui subit un manque à gagner, parce qu’aucune taxe n’est prélevée, surtout dans certaines zones où il n’y a ni taxe d’abattage ni taxe d’exportation. En se basant sur la valeur FOB des essences, les simulations faites sur l’année ont permis de réaliser que l’Etat perd 1,8 milliards de F suite au non recouvrement des taxes. De l’autre côté, les marges bénéficiaires assez importantes pour les exploitants forestiers véreux. Les différences de prix pratiqués sont significatives : au Cameroun, le prix de vente de la planche d’ayous est de 2500 F, contre 7000 F au Congo. L’iroko à l’embarcation coûte 5000 F à l’embarcation, contre 18 000 F au Congo. Le sapelli coûte 5000 F à l’embarcation, contre 15 000 F au Congo.
L’urgence de mesures structurelles pour faire de l’exploitation forestière un levier de développement local adossé aux objectifs de la SND-30
Considérant que la forêt est notre école de vie, nous donne à manger, tout pour construire et constitue notre lieu de culte, le ReCTrad est favorable à une synergie d’actions pour tirer le meilleur parti de la forêt et en faire un véritable levier de développement local. L’idée est de militer pour un développement durable et inclusif, à travers des actions et interventions holistiques, qui engagent toutes les parties prenantes dans la chaîne de valeurs du bois. Le secteur bois dispose donc de plusieurs opportunités pour permettre d’atteindre les objectifs de la SND-30. « Nous appelons à la mise en œuvre effective de la SND-30 avec le soutien de tous nos partenaires techniques et financiers, les bailleurs de fonds, le gouvernement et tous les acteurs autour de nous, de manière à garantir la gestion durable de nos forêts, pour améliorer de manière durable les conditions de vie et de bien-être des populations locales autochtones et de notre pays en général », a souhaité Sa Majesté Bruno Mvondo. Pour préserver la ressource, il est aussi judicieux de mettre en place des banques de semences et des pépinières tant au niveau de la foresterie que l’agriculture et de l’élevage pour favoriser le reboisement, la préservation de la flore, le développement d’une agriculture durable et un élevage intégré dans les différentes communautés.
L’un des chantiers à adresser va dans le sens de soutenir le développement des plantations forestières. « Lorsqu’un arbre est coupé, il faut en planter au moins 10. Nous avons engagé des opérations de planting d’arbres à travers les communautés, les villages et les chefferies. Et nous voulons que ce travail soit implémenté dans les UFA, les forêts communales, les forêts communautaires et dans les réserves par les communautés riveraines et les différents acteurs », indique le représentant des chefs traditionnels. La transformation locale du bois gagnerait aussi à être implémentée, pour ne plus essuyer les pertes consécutives à l’exportation des bois en grumes. L’on se souvient d’ailleurs qu’une directive communautaire a été prise dans ce sens au niveau de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) en 2020, interdisant l’exportation du bois sous forme de grumes.
Le ReCTrad encourage en outre le financement et la création des forêts communautaires et l’accompagnement dans la gestion de celles-ci au niveau des communautés, plutôt que de les laisser à la disposition du secteur privé. Les forêts communautaires qui existent sont en léthargie, parce que les communautés n’ont pas les moyens techniques, financiers, logistiques pour les exploiter, explique-t-on au réseau. Le renforcement des capacités des acteurs locaux en matière de surveillance et de contrôle est tout aussi important. « Nous souhaitons que les autorités traditionnelles soient protégées lorsqu’il faut dénoncer et que les communautés soient renforcées pour savoir dénoncer. Au-delà, de la formation pour la dénonciation, nous souhaitons la couverture, mieux la sécurité de ceux qui peuvent dénoncer », soutient le ReCTrad. L’appui de la recherche dans le développement des alternatives économiques durables dans les communautés doit suivre, afin de détourner les uns et les autres du braconnage, de leur créer de nouvelles occupations. Les autres sectorielles (Minepia, Minader, Minpmeesa…) doivent développer des alternatives pour détourner du braconnage.
Une autre piste de réflexion est une meilleure valorisation des forêts communales, à travers des activités durables comme l’exploitation des produits forestiers non-ligneux et les initiatives de conservation. L’exemple patent est la forêt communale de Yoko dans le département du Mbam-et-Kim, région du Centre, où la conservation rapporte plus que la coupe de bois. Ici, la forêt communale a bénéficié de l’équipement de 65 caméras installées, avec la contribution des partenaires comme la GIZ et la FAO, pour une meilleure surveillance des activités. Les actions de protection des espèces et des écosystèmes menacés par le braconnage doivent être renforcées, à travers la promotion de l’écotourisme et la valorisation de cette biodiversité.
La promotion des petits emplois liés à la foresterie et à l’exploitation forestière pour sortir de l’informel
Afin de faciliter la migration de l’informel vers le formel dans les communautés, les petits emplois liés à la foresterie et à l’exploitation forestière doivent être dynamisées. « Nous souhaitons que dans la chaîne de valeurs du bois, il y ait des formations continues et un suivi pour davantage créer des emplois professionnels. Ce qui passe par la mise en place des mesures incitatives et d’un environnement favorable à l’entrepreneuriat local et la mise à disposition des formateurs des formateurs », plaide le chef traditionnel S.M. Mvondo. Pour matérialiser cela, il faut mettre en place des politiques de financement, des facilités financières et fiscales garantissant des débouchées et favorisant l’émergence d’une activité économique saine, durable et respectueuse de l’environnement.
La contribution du CED est toute aussi significative. L’on a intérêt à mettre à la disposition de l’administration sectorielle en charge des forêts les moyens matériels et logistiques tels que les chaloupes à moteur, gilets de sauvetage, armes, carburant…pour les patrouilles, propose Achille Wankeu. L’un des facteurs de succès de l’initiative est l’amélioration de la collaboration entre l’administration forestière et les services de la douane camerounaise pour plus d’efficacité, le lancement d’une vaste campagne d’appui communautaire pour le développement local, afin de lutter contre l’inflation et promouvoir les activités agricoles qui ont été délaissées. La mise en place d’un comité paysan-forêt s’avère nécessaire pour appuyer les communautés à sauvegarder et protéger leurs forêts, soutient l’expert.