L’atelier organisé du 6 au 7 septembre 2023 à Yokadouma, département de la Boumba-et-Ngoko, région de l’Est-Cameroun, s’inscrit dans cette dynamique. Les participants ont reconnu que les détenteurs du pouvoir traditionnel sont les portes d’entrée et de sortie de leurs communautés respectives. Et en tant qu’auxiliaires de l’administration, les chefs traditionnels ont une part active à jouer dans la préservation de leurs terroirs, pour le bien-être de leurs communautés.
WRI justifie ce changement de paradigme. « Nous recherchons une solution à un problème que nous avons tenté de résoudre sans consulter les chefs traditionnels. Il faut relever que chaque fois qu’on a voulu résoudre certains problèmes avec la loi, on nous a souvent dit qu’il faut passer par la tradition », explique Dr. Achille Djeagou Tchoffo, directeur de l’initiative Open Timber Portal pour le Bassin du Congo à World Resources Institute Africa, partenaire financier du projet-pilote. WRI Africa veut s’appuyer sur les savoir-faire traditionnels pour dissuader les exploitants illégaux. « En concertation avec le RecTrad, on s’est dit que la forêt est une richesse qui contribue au développement local et à la prospérité nationale. En tant que partenaire, on oriente la réflexion pour qu’on puisse voir comment adresser la question de l’exploitation forestière de façon holistique », ajoute Dr. Djeagou.
Plaidoyer pour la création des forêts de conservation
En tant que porte-parole des chefs traditionnels, le président du RecTrad, Sa Majesté Bruno Mvondo, a insisté sur une prise en main de leurs responsabilités. « Nous sommes là pour identifier les solutions à apporter par rapport à nos traditions, à nos connaissances, à notre histoire, au savoir-faire des uns et des autres pour qu’on puisse freiner ce phénomène, afin qu’on puisse tirer un profit de nos forêts, tant pour nos communautés que pour nos Etats et pour tous les acteurs », fait savoir notre l’autorité traditionnelle. L’enjeu, selon les garants de la tradition, est de voir dans quelle mesure sécuriser les investissements pour le développement individuel et collectif et le décollage économique du Cameroun qui fonde beaucoup d’espoir sur l’exploitation forestière, lâche S.M. Mvondo. Ils plaident pour la prise en compte, par l’Etat, de leur rôle dans les processus décisionnels relatifs à la gestion des ressources forestière, pour leur permettre d’être à l’abri des besoins primaires et contribuer au respect de la loi forestière.
Par ailleurs, les chefs traditionnels sollicitent des forêts de conservation, à l’image du projet développé à Yoko où la forêt communale est équipée de 65 caméras installées, avec la contribution des partenaires comme la GIZ et la FAO, pour une meilleure surveillance des activités. A ce niveau, les recommandations de Yokadouma vont dans le sens d’encourager les chefs traditionnels à dénoncer et repousser, en collaboration avec les organisations de la société civile, tout exploitation illégale.
La synergie des acteurs pour contrer l’exploitation forestière illicite
L’exploitation forestière illégale est tellement complexe que le phénomène ne saurait être combattu en rangs dispersés. Le délégué départemental des Forêts et de la Faune de la Boumba-et-Ngoko, Théodore Julien Mbolo Bodo, reconnaît d’ailleurs que l’Etat seul n’est pas en mesure de décourager les pratiques illicites. Il relève ainsi l’insuffisance des effectifs en termes de ressources humaines et des équipements logistiques comme les véhicules tout-terrain, les chaloupes, les gilets de sauvetage et les armes, etc.
Le chargé de projets au CED, Achille Wankeu, par ailleurs responsable du Programme d’amélioration de la gouvernance en milieu forestier (PAMFOR), crève l’abcès en qualifiant l’exploitation forestière illégale de gangrène. Il convoque les chiffres sur l’ampleur du phénomène dans l’arrondissement de Moloundou, frontalier avec la République du Congo. Ici, les opérateurs forestiers dont l’origine reste inconnue réussissent à convoyer du bois sous forme de débités fabriqués comme des radeaux qui traversent la rivière Ngoko, pour parvenir sur le marché congolais. Selon les résultats d’une mission d’observation menée par le CED entre juillet et septembre 2022, les chiffres avancés par M. Wankeu donnent le tournis : environ 100 000 mètres cubes de bois échappent à la fiscalité camerounaise chaque année, entraînent un manque à gagner en termes de recettes fiscales liées à la taxe d’abattage, estimé à environ 400 millions de F.CFA.
Pourtant, l’heure n’est pas au désespoir et à la résignation. Le conclave de Yokadouma a formulé certaines recommandations, notamment : la fourniture du matériel et des appareils adéquats aux agents de contrôle de la chaîne de traçabilité du bois et l’équipement des postes forestiers de Moloundou, Kika, Socambo et Libongo avec des embarcations fluviales et des équipements de sécurité pour la navigation. Dans les différentes localités, une collaboration plus étroite est souhaitée entre les communautés et les chefs de poste forestier. Ainsi que l’élaboration d’un plaidoyer pour la mise à disposition d’espaces agricoles aux communautés riveraines dans les UFA 10 064 et 10 066, l’appui à l’identification et à la cartographie des espaces de forêts potentielles en vue de la création de forêts communautaires. Une autre recommandation et non des moindres est la mise en conformité des opérateurs du secteur du bois en activité dans la Boumba-et-Ngoko à la législation en vigueur, à travers la possession de tous les documents légaux requis.